L’épopée des Ballets Russes

Diaghilev, New York, 1916 BnF-BmO

Les Saisons russes de Diaghilev ne se sont pas limitées aux ballets, comme pourrait le faire croire leur dénomination globale de « Ballets russes », et cette prodigieuse entreprise artistique n’a pas été réalisée que par des natifs de Russie. Elle a été au contraire représentative d’un cosmopolitisme qui avait sollicité les meilleures forces de divers pays, et tout naturellement de la France en premier lieu. Diaghilev, rappelons-le, a débuté sa conquête musicale de Paris par une série de concerts (1907), puis des représentations d’opéras (1908). Deux œuvres majeures ont été révélées cette année-là aux parisiens, Boris Godounov de Moussorgski, avec le légendaire chanteur Feodor Chaliapine dans le rôle-titre, et Snegourotchka (La Fille de neige) de Rimski-Korsakov. C’est encore Chaliapine que les Français ont retrouvé en 1913 dans La Khovantchina de Moussorgski. L’Histoire dans ses moments cruciaux où se joue le devenir d’un pays, et la féerie du conte populaire avec son fond païen lié au culte du printemps et des divinités solaires, constituent deux des principales lignes de force de l’opéra russe. Dans Boris Godounov, l’authenticité humaine et populaire s’exprime autant à travers les événements historiques et leurs acteurs (le moine chroniqueur Pimène et le novice Grigori, futur usurpateur du trône) qu’à travers la spontanéité ludique des jeux et chansons des enfants du tsar. De la féerie, Le Coq d’or de Rimski-Korsakov montre le versant oriental, incarné par l’énigmatique Reine de Chemakha, personnage « solaire » elle aussi, car c’est par un hymne à l’astre du jour qu’elle se révèle aux spectateurs. Cet ouvrage a été donné sous la forme expérimentale d’un opéra-pantomime, les chanteurs se trouvant dans la fosse d’orchestre et l’action étant mimée par des danseurs sur scène.

Diaghilev avait « le génie de découvrir celui des autres », et son principe était d’être ouvert aux esthétiques les plus diverses, du moment qu’elles étaient aptes à captiver, surprendre, choquer, ou simplement émerveiller. Les mythes de l’Antiquité grecque faisaient partie intégrante de ses références et, aux côtés de leurs confrères russes, Debussy et Ravel ont eu dans le cadre des Ballets russes des places d’honneur. Daphnis et Chloé (1912), la plus vaste partition symphonique de son auteur, est un de ces chefs-d’œuvre absolus d’orchestration dont la transcription pour piano garde pourtant intacte la qualité du matériau musical. Et dans les dernières années de leur existence, les Ballets russes se sont ouverts aux talents d’une nouvelle génération de compositeurs, ceux du Groupe des Six entre autres. En 1924, Francis Poulenc, âgé de vingt-cinq ans, donne avec Les Biches un spectacle de frivolité joyeuse, où la clarté néoclassique s’allie aisément avec des échos de sonorités plus récentes, et où le chant se mêle à la danse ; le ballet a en effet cessé d’être un spectacle strictement muet et a (ré)intégré des éléments d’opéra, réduisant ainsi le décalage d’appréciation entre les genres grâce à une revalorisation mutuelle.

André Lischke  © Cité de la Musique

Extrait vidéo : Jean Cocteau commente les Ballets Russes

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