Première représentation du ballet : Paris, Théâtre de l’Opéra, 25 juin 1910.
Argument : Serge Diaghilev.
Chorégraphie : Michel Fokine, d’après Marius Petipa.
Décor et costumes : Constantin Korovine et Léon Bakst.
Direction musicale : Nicolas Tcherepnine.
Principaux interprètes : Tamara Karsavina, Vera Fokina, Vaslav Nijinski, Alexandre Volinine.
Costume porté par Nijinsky dans Les Orientales
Orient fabuleux, orient barbare, orient chamarré et voluptueux, de Cléopâtre au Dieu bleu, des Danses polovtsiennes à Schéhérazade, les Ballets russes explorent une veine exotique dont le public occidental est friand. Le programme rédigé par Diaghilev pour ce ballet, dont le titre fait référence au recueil éponyme de Victor Hugo, reflète l’influence de Léon Bakst, principal peintre et décorateur de la compagnie pendant ses premières années, passionné par les arts d’Extrême- Orient : « Comme Le Festin, c’est une suite d’esquisses chorégraphiques, mais, comme le titre l’indique,encore plus exotiques puisqu’elles proviennent des peuples de l’Orient voisins de la Russie et dont l’arta exercé, à tous les égards, une influence parfois très grande sur celui des Slaves. L’Inde, la Perse,la Chine, l’Arabie ont fourni les thèmes des diverses danses qui y sont rassemblées. » L’orchestre Les Siècles a procédé à la demande de nouvelles orchestrations à deux jeunes compositeurs, s’inscrivant ainsi dans une démarche analogue à celle de Diaghilev en son temps.
La Danse orientale, exécutée par Nijinski, baptisée Danse siamoise, sur une série de photographies représentant son interprète, confirme par sa chorégraphie et par le costume du danseur, inspiré de la statuaire d’Extrême-Orient, la marque de Bakst.
Comme Le Festin, Les Orientales offrent un montage de morceaux, choisis pour certains dans le répertoire des Théâtres impériaux. La reconstitution musicale du ballet est donc une tâche épineuse ; deux partitions s’avèrent perdues, les orchestrations de la Danse orientale de Sinding par Serge Taneïev et du Kobold de Grieg par Igor Stravinski.
On peut s’étonner du choix des compositeurs scandinaves Christian Sinding et Edvarg Grieg : chez Sinding la vision de l’Orient appartient à un imaginaire poétique et chez Grieg le « kobold » est un lutin germanique transformé pour l’occasion en « djinn »,maléfique figure orientale immortalisée par Victor Hugo.
Nijinsky dans Les Orientales
Dans l’Entrée des Sarrasins et la Danse orientale deRaymonda, qui prennent place à l’acte II du ballet (créé en 1898), on trouve les ingrédients principaux des scènes orientales des opéras et ballets de l’époque : une danse rapide, ponctuée du tambour, aux arabesques bondissantes et dont le mouvement tourbillonnant, mais répétitif, crée une sorte d’hypnose comparable à celle des derviches tourneurs ; à ce type s’oppose une mélopée aux inflexions chromatiques, généralement confiée au hautbois ou au cor anglais, accompagnant les mouvements langoureux de la ou des danseuses. Malgré son tempo rapide, l’Entrée des Sarrasins reste policée et occidentale : la mélodie se meut dans des sphères tonales claires ; le caractère populaire est donné par le bourdon initial et une harmonie simplifiée, peu présente. Des touches de couleur locale, rappelant les turqueries du XVIIIe siècle, sont apportées par la percussion et le piccolo. Plus typée, la Danse orientale qui suit crée un climat envoûtant par le délicat coloris des cordes jouant en pizzicato ou avec sourdine, rehaussé de quelques notes des cors, eux aussi avec sourdines. La mélodie (flûte et cor anglais à l’octave) descend langoureusement au doux balancement de triolets ; une progression passionnée lui fait suite, aux accents fiévreux et incantatoires. La mélodie initiale, ornementée de capiteuses volutes, triomphe enfin aux violons, dans un éclat vite assombri par une harmonie descendante et chromatique ; un trait rapide des violons, en mode arabisant, met fin à la voluptueuse rêverie.
Aucun effet de couleur locale ne vient troubler la mélancolie de la Danse orientale, écrite dans la sombre tonalité de si bémol mineur, de Sinding (composée en 1896) : la guirlande en tierces de la main droite, interrompue par un dessin accentué et percussif, et la main gauche syncopée apparaissent comme les réminiscences d’un Orient lointain. Le chromatisme de la partie centrale, à part un jeu ambigu sur accords parfaits majeurs et mineurs, émane d’un langage romantique tardif et ne doit rien à une influence des modes orientaux. L’orchestration de Charlie Piper anime d’une vie frémissante cette vision nordique.
La musique du Pas de deux tiré de L’Automne, quatrième tableau du ballet Les Saisons op. 67 de Glazounov (composé en 1898-1899) ne possède a priori rien d’oriental, mis à part les instruments de percussion, triangle, cymbale et grosse caisse qui, avec le piccolo, rappellent la « musique turque » des opéras du XVIIIe siècle. Le titre « Bacchanale » peut renvoyer à une fête débridée appartenant à une vision fantasmée de l’Orient. Dans le ballet, les Saisons participent à la fête générale, puis l’Hiver et le Printemps exécutent de délicates variations, avant le retour abrégé du volet initial.
Diaghilev avait déjà employé la musique du ballet Les Nuits égyptiennes op. 50 d’Arenski (créé à Saint-Pétersbourg en 1900) dans la production de Cléopâtre (1909). La Danse du flambeau (titre figurant dans le programme du spectacle) se compose, dans la reconstitution de François Dru, de trois épisodes du ballet. La Charmeuse des serpents [sic] déploie une mélodie aux inflexions orientales, d’une grande puissance d’évocation, mais harmonisée à l’occidentale. La Seconde Danse d’Arsinoé, diatonique et de coloris modal, sonne profondément russe, sur une harmonie statique rehaussée de mouvements chromatiques intérieurs. La Danse des Ghazies conclut gaiement l’ensemble et fait résonner pittoresquement clochettes et grelots. Le Djinn – Kobold – de Grieg, que l’on imaginerait volontiers échappé de Peer Gynt, jette un voile ténébreux sur ces Orientales. Comme chez Sinding, les mouvements chromatiques du volet central de cette pièce, composée en 1901, sont non d’essence orientale, mais romantique, et semblent exprimer bien davantage un démon intérieur suscitant l’angoisse qu’un personnage fabuleux.
Extrait vidéo : la reconstitution de Christian Comte Nijinsky 1912
Diaghilev a toujours catégoriquement refusé que les Ballets Russes ne soient filmés. Le Film Nijinsky 1912, présenté dans le cadre de l’ Année France – Russie 2010, a été réalisé grâce à un procédé révolutionnaire par l’artiste français Christian Comte, qui à partir de photographies, a reconstitué la danse de Nijinsky dans ses plus grands ballets.